Si l'on en juge aux hommages vibrants prononcés depuis ce matin, cela ne saurait tarder.
Les uns réclament des funérailles nationales, une béatification républicaine. Les autres louent, sans compter les superlatifs, le courage, l'abnégation, la vision de l'Abbé Pierre. Cinquante-trois ans apres l'appel qui l'a rendu célèbre (et qui a bien embarrassé à l'époque les politiciens français), Henry Grouès s'en va sous un tombereau de lauriers.
Le tout premier, Jacques Chirac, (ou plus probablement un conseiller de permanence à l'Elysée) trouva ce matin le bouton du fax. A 6h27, à peine dix-sept minutes après l'annonce officielle du décés, Jacques Chirac, sans doute encore en pantoufle, déclare la "France entière touchée au coeur". Un communiqué préparé de longue date, comme les nécrologies que les télés mettent aussitôt à l'antenne.
Le président arrive loin devant le peloton des hommages posthumes, qui lui ne déboule qu'une heure après (l'Elysée est-elle la seule abonnée à l'AFP?) : Dominique de Villepin (7h52), bon second comme toujours, puis Bertrand Delanoé et sa "quête d'actualité" (7h53) et l'oeucuménique Dalil Boubaker (7h57), le recteur de la Grande Mosquée (qui lui était sans doute levé depuis belle lurette puisque la prière du matin en Islam commence à cinq heures tapantes).
Depuis les candidats se sont réveillés, les bonnes âmes ont rivalisé d'audace pour saluer le grand homme, sa cause et sa verve. Jusque Jean-Marie Le Pen qui du bout des lèvres, vraiment, prédit sur notre plateau que l'Abbé "ira droit au paradis", avant de confier au café : "A l'aûne de l'Abbé Pierre, il me reste quatorze belles années devant moi". Et on le sent alors tout ragaillardi par la perspective de pouvoir quelques années encore jouer les empêcheurs de tourner en rond.
Et de l'Abbé que reste-t-il ?
Un film d'actualité que l'on se repassera en boucle, des photos vieillies, une loi sur le droit opposable au logement, que l'on feint de croire applicable. "La loi du tapage", dit Bernard Kouchner qui en connait un rayon.
Un exemple, une icone et... Ah, oui... Des hériters, à la pelle : les frères Legrand, ces Don Quichotte qui ont retenu du prêtre un vrai talent pour la provocation et l'utilisation des médias (voir "l'Abbé Pierre est un malin"), Jean-Baptiste Eyrault, du Droit au Logement qui jusqu'au bout, la semaine dernière aura tenté d'obtenir un dernier coup de gueule de l'Abbé... Les bénévoles d'Emmaus, bien sûr, leur Président Martin Hirsch, qui tente, avec patience et modération mais pour l'instant sans grand succés, de se faire entendre des responsables politiques pour tenter de sortir "Deux millions d'enfants pauvres" de l'ornière.
Dans les heures, peut-être les jours qui viennent, chacun tentera de s'attacher l'aura du Saint homme. Tout le monde l'aura croisé, vu, connu, aimé. On vous racontera les engueulades et les bons mots. Bref, l'Abbé deviendra un label que chacun portera à sa boutonnière, avant de le ranger, bien sagement avec les autres, dans les tiroirs de l'Histoire.
Ou pourquoi pas au Panthéon, finalement...